Un chèque inoubliable
Si chaque jour nous nous voyons pendant une heure, nous deviendrons des amis .C’est ce qui arrive dans le parc. Après le jogging nous nous rassemblons pour bavarder. Près de nous, des visiteurs regardent les canards sur la mare des papas et des mamans promènent leurs petits, qui donnent à manger aux pigeons .Soudain j’entends : « Bonjour, Monsieur Mai ! » Je me retourne et je vois une vieille dame d’environ 80 ans , accompagnée par une jeune fille qui me dit : « Vous souvenez- vous ?Nous sommes des clients de votre restaurant Mai ! » Tout le monde nous regarde en souriant car on sait que j’avais un restaurant à Saint Loup, que nous avons vendu. La jeune fille se présente ; elle travaille à Paris et elle est venue rendre visite à sa grand- mère dans une maison de retraite à Marseille. Elle dit : « nous regrettons que vous ayez vendu le restaurant. La dernière fois, si vous rappelez, nous avions fêté chez vous l’anniversaire de ma mamie avec mes parents. Vous nous avez même offert un poème. On garde un très bon souvenir de cette soirée- là .Soudain Mamie dit : « mais nous vous avons payé avec un chèque en bois ! »Tout le monde éclate de rire devant une telle plaisanterie, Pourtant elle ne rit pas. « Je dis la vérité », affirme –t-elle.
Nouveaux éclats de rire. Sa petite - fille semble gênée, moi aussi. Je décide de m’éloigner du groupe et continue à parler. « Où est la maison retraite de mamie ? »Nous arrêtons tous les trois un peu plus loin. La jeune fille me dit : « Ma grand- mère a la maladie d’Alzheimer depuis 3 ans ; elle oublie beaucoup de choses mais elle parle souvent de ce chèque. Vous en souvenez certainement. Depuis un an, elle nous parle de ce chèque, qui était, elle, de 200 Euros. Ce soir- là, je devais partir à Paris avec mes amis et je suis sortie du restaurant avant le dessert .Mamie est restée avec mes parents. » Puis elle me regarde dans les yeux et me dit « Maintenant, j’ai besoin de savoir la vérité. »
-Pourquoi ne pas demander à vos parents ?
-Mais tout le monde dit que mamie a oublié ce qui s’est passé !
Notre ancien métier comportent des risques : ainsi après le repas, alors que nous sommes occupés derrière le comptoir, il arrive que des clients s’esquivent sans payer. Ou alors d’autres, après avoir dégusté les meilleurs plats et consommé des vins très chers, nous disent : « J’ai oublié mon carnet de chèques et ma carte bancaire dans la voiture ; je reviens dans cinq minutes.»Les cinq minutes sont interminables et eux, les resquilleurs, les griveleurs ont disparu pour toujours !
Parfois,on nous a payés avec des chèques en bois ou,ce qui est plus grave,avec des chèques volés….Avant de venir au restaurant, certains clients ont déclaré à la police avoir perdu leur portefeuille avec leur carte d’identité et leur chéquier , puis ils sont allés à la banque avec la déclaration de perte pour demander la fermeture de leur compte . Quelques jours après, ils viennent manger et payer avec ce chèque, et même parfois présentent leur carte d’identité !
Une semaine après, la banque nous avertit que chèque est faux. Chaque fois, nous devons choisir entre deux solutions : porter plainte et poursuivre en justice avec un avocat, ce qui dépasse de beaucoup le prix d’un repas ou accepter d’avoir perdu de l’argent.
Pour les chèques « en bois », sans provision .On va quelque fois chercher le client dans son domicile, Si on a de la chance, il nous présente des excuses, mais souvent, le propriétaire du chéquier est absent. Il est inutile d’insister .Il vaut mieux abandonner.
Mon restaurant est petit ; il ne contient pas beaucoup de client. Il est rare qu’on paie avec des chèques « en bois » ou volés ; Mais avec cette mamie et sa famille, je m’en souviens bien, cela est arrivé. Je leur avais servi un repas spécial, l’apéritif gratuit, des cadeaux, un poème ! J’ai ensuite essayé de les retrouver par téléphone et en me rendant à leur domicile. Mais ils étaient toujours absents.
Comment alors dire la vérité à la jeune fille et pourquoi ? Je ne veux pas ternir l’image qu’elle a de sa mamie. Je feins de ne plus me rappeler.
Le lendemain, quand je viens au parc pour courir comme d’habitude, un monsieur me donne une enveloppe et me dit : « Une jeune fille m’a demandé de vous remettre cette enveloppe. »
« Où est –elle ? »
« Elle est partie.»
Je mets l enveloppe dans ma poche et continue à courir.
Quand j’ai terminé ma course j’ouvre l’enveloppe et je trouve 300 Euros avec les mots suivants : « Je vous remercie de votre bon cœur et de votre discrétion .Ma mère a dit que cette histoire de chèque était malheureusement vraie .Je sais pas si la somme est tout à fait juste, mais j’espère vous serez satisfait. Merci pour tout. Une bonne nouvelle : le docteur a affirmé que la santé et la mémoire de mamie se sont améliorées.
Huynh ngoc Diêu
Mars 2008