Un tableau de la Provence
C’est à l’aide de cartes postales et de photos que je peins ou plus exactement que je copie les formes et les couleurs des paysages du Vietnam. Mes tableaux, qui ornent les murs de mon restaurant, attirent l’attention des clients, Parmi eux, Jacques, un artiste peintre professionnel mais autodidacte, est bien vite devenu mon ami. C’est lui qui m’a conseillé de participer à des cours de peinture pour amateurs, dispensés par une dame professeur des Beaux-arts de Marseille, retraitée. On y reçoit un enseignement théorique puis on va dans des ateliers où on fait quelquefois de la photographie .Je me suis habitué à contempler des platanes, des cyprès, des collines, des plages …Et je commence à inspirer mon pinceau pour qu’il peigne les couleurs les plus vraies de la Provence.
Mon restaurant est petit, on travaille ensemble en famille, ma femme est le chef - cuisinier ; je suis serveur et aide de cuisine, je fais aussi le ménage. Nos trois enfants, au temps de leurs études, suivant leur emploi du temps, aidaient à la cuisine ou étaient serveurs.
Ma femme et moi nous travaillons chaque jour dix heures environ L’atmosphère familiale et amicale nous fait oublier la fatigue. Je garde toujours mon poste de travailleur de nuit dans un foyer pour les jeunes handicapés, je prends mon services à vingt-trois heures quand le restaurant n’a plus de clients. Deux jeunes garçons viennent alors faire la plonge et raccompagnent maman à la maison.
Les clients, en prenant l’apéritif, lisent souvent les poèmes insérés dans le menu ou regardent un tableau sur le mur .Parfois, ils discutent avec moi et me donnent des conseils amicaux et m’encouragent.
Ces clients, nos amis, nous connaissent ainsi que nos enfant .Parmi eux, il y a la famille de Christophe, Anne-Marie, d’origine vietnamienne, et sa fillette de 4 ans viennent aussi manger chez nous. Aussitôt entrée dans le restaurant, la petite court dans la cuisine pour faire un bisou à ma femme.
Le temps passe. Les amis doivent nous quitter l’un après l’autre .Christophe et Marie déménage dans une autre ville, pour un poste de principal de collège .On correspond pendant quelque temps par email mais on n’a bientôt plus de nouvelles.
Nos enfants ont terminé leurs études .Comme les oiseaux, ils ont assez plumes pour voler de leurs propres ailes mais ils vont bien loin construire leur nid ! De plus en plus, autour de nous, surgissent des concurrents avec des restaurants plus grands que le nôtre, qui connaît des difficultés. Nous travaillons seuls, ma femme et moi. Nous devons refuser les clients qui arrivent tard le soir car dès 23 heures, il me faut prendre mon service de veilleur de nuit.
Le temps de la retraite est venu pour le travail de nuit et je peux me consacrer entièrement au restaurant. On a alors le temps de bien s’occuper de la clientèle mais c’est trop tard : les horaires de ces derniers temps un peu trop stricts nous ont fait perdre une partie de nos clients si bien que nous formons le projet de vendre le restaurant.
Actuellement retraité, j’ai beaucoup de temps libre, Un an a passé .Je ne lis pas, je n’écris pas, je ne peins pas non plus .Pourquoi ?peut- être parce que je n’ai plus d’amis pour m’encourager, pour me stimuler, pour m’inciter à chercher l’inspiration.
Mais voici une occupation nouvelle : garder notre petit-fils Julien, une fois par semaine, le samedi .Nous allons le chercher, ma femme et moi, le vendredi soir, et son père le ramène le samedi soir. Il nous arrive de dormir chez Julien, dans un village de Provence.
Un soir, sur le point d’arriver chez notre fille, nous recevons un appel téléphonique : elle-même nous demande de nous rendre directement dans le restaurant d’une ville proche pour voir d’anciens amis .Quel bonheur d’y rencontrer Christophe et Anne, qui ont maintenant un petit garçon de sept ans, né peu après notre séparation.
La semaine suivante, ma femme prépare les Nems et quelques plats. Nous prenons le repas ensemble
Sur la terrasse de maison de mon ancien ami et nous contemplons un coucher de soleil sur la colline .Je respire les parfums de la Provence .Jamais je ne parviendrai à peindre un tableau aussi beau ! En plein bonheur, je prends un crayon et dessine le paysage .Ce n’est qu’un brouillon .Puis je photographie abondamment.
Avant de me quitter, Christophe étend la main vers la colline et me dit « Tu as tout maintenant ! Fais donc un tableau de la Provence ! » Je le promets en souriant.
Le lendemain à Marseille, je fouille dans ma cave pour trouver des pinceaux, des couteaux, des toiles. Depuis si longtemps délaissés .J’achète divers tubes de couleurs. Le lendemain matin, je commence un tableau en regardant l’écran de mon ordinateur. Je peins toute la journée, corrige, repeins
.Quelques jours après j’abandonne. .Je repeindrai un jour, je ne sais quand..
Quelques mois plus tard, nous revenons voir Christophe, qui me demande « As-tu apporté ton tableau ? »
-Quel tableau ? »
Alors je me rappelle que je n’ai rien fait, que je n’ai pas tenu ma promesse.
Quand je suis plein de rêve et de bonheur, l’inspiration s’est-elle envolée ? Je me sens incapable de toute
Réalisation artistique. Pourtant il y a déjà un beau tableau dans mon cœur.
Huynh ngoc Diêu
Mars 2008